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MICHELE SZYPER1, CATHERINE MARKSTEIN2, VINCENT FRANCOEUR3 Qui sont ces femmes qui traversent la cinquantaine aujourd’hui ? Quels sont leurs désirs et leursfantasmes sexuels, quel plaisir veulent-elles, quelle jouissance connaissent-elles, dans quels brasse lovent-elles et rêvent-elles d’être caressées, embrassées, aimées et comment ? Quels sont lesdiscours produits sur leur sexualité qui les constituent et les assujettissent, et comment résistent-elles et développent-elles d’autres discours, d’autres pratiques ? Comment osent-elles vivre sansrègles, libres « dans leur ciel, leur amour, leur chant » ? (D’après le Lied de Mahler G., Ich binder Welt abhanden gekommen, sur un poème de Rückert Fr.).
Temps d’interrogations devant les changements physiques, psychiques, familiaux,professionnels ; temps de passage vers une autre phase de vie, de réorientation et de nouvellesperspectives, d’initiation et de transformation, d’intégration et d’épanouissement ; il s’agit d’unepériode qui peut être exceptionnelle dans la vie des femmes4.
Les femmes autour de la cinquantaine aujourd’hui sont les premières à atteindre aussinombreuses le retour d’âge. Elles ont peut-être milité dans les mouvements de libération desfemmes ; elles sont, en tout cas, les premières bénéficiaires des victoires obtenues. Elles sontaussi les premières à profiter des progrès de la médecine. Et ce sont encore elles qui composent lapremière génération de femmes auxquelles s’adresse la nouvelle médicalisation de la ménopause.
Nous commencerons ce chapitre en essayant de mettre des mots sur la transformation profondeque vivent les femmes au mitan de leur vie. Nous rappellerons ensuite les antécédents socio-historiques d’où ont émergé les discours modernes sur ce temps de vie. Nous analyserons lecontexte socioculturel actuel dans lequel les femmes tentent de vivre leur sexualité et de luidonner du sens. Ceci nous amènera, enfin, à écouter la parole de femmes qui, en groupes, seracontent et partagent cette expérience unique qu’est la vie.
Au mitan de vie d’une femme, une mystérieuse et invincible métamorphose l’entraîne, en toutesimplicité, vers un autre état de l’être. Chaque femme, en fonction de son tempérament, sonéducation religieuse, morale, sexuelle et politique, ses pratiques spirituelles, ses ressourceséconomiques, son univers culturel, les livres qui l’inspirent, la musique, les voyages, les objetsqui l’entourent, ses amitiés, ses rencontres, vit à sa façon et parle, si elle trouve les mots pour ledire, enchantée ou désorientée, extatique ou gênée, de ce qui envahit son corps et sa vie, de ce quila libère.
2 Médecin-coordinatrice de l’asbl Femmes et Santé, Bruxelles.
3 Etudiant à l’Université du Québec, Montréal (UQUAM).
4 MARKSTEIN C., SZYPER M., Un temps pour s’émanciper, un temps pour s’épanouir. Paroles et expériences desfemmes autour de la cinquantaine, Gap, Editions du Souffle d’Or, 2009, 184 p. ; GREER G., The change : WomanAging and the Menopause, New York, Fawcett Columbine, 1991, 422 p. ; ONKEN J., Feuerzeichenfrau, MünchenVerlag C.H. Beck, 2002, 204 p.
Dans les traditions initiatiques, ces états de conscience et leurs manifestations sont clairementreconnus5. Mais comment les identifier, comment les interpréter, comment les nommer ? Qu’enfaire, privée de ces références culturelles, quand soudain, au milieu d’un embouteillage, ausupermarché ou dans son lit, on se réveille en nage, en rage ou en extase ? Et comment conteniret chérir ces manifestations, si elles ne sont pas accueillies comme des signes d’évolution mais aucontraire, si elles sont interprétées – comme c’est le plus souvent le cas dans nos sociétés –comme un dysfonctionnement métabolique sur le plan physique, et sur le plan psychique commele déni d’un manque avec sa réaction maniaque ou comme une régression de la pensée et del’affectivité à des stades archaïques, magiques, mythiques6.
Lorsque les sensations, les pensées, les comportements qui surviennent sont pris comme preuveset comme manifestations d’une carence hormonale, de l’angoisse, ou de la mélancolied’involution qui frappent les femmes vieillissantes et sans menstrues, alors les femmes risquenten effet de dégringoler et de s’écraser sur une terre plate où des équipes les attendent pour lessoigner et les surveiller, les calmer et les « normaliser », les embellir et les rajeunir.
La manière dont est perçue cette période varie d’une culture à l’autre. Ici, c’est le temps de lasagesse, de la transmission, des « grands-mères » ; là, celui du dégoût et de l’ostracisme ; ailleurs,celui du pouvoir d’exciser ou de martyriser les belles-filles7. Il en va de même de l’interprétationmédicale des changements physiques, émotionnels, sexuels qui se manifestent. En effet, il existedes modèles qui respectent et honorent les femmes vieillissantes, qui leur permettent de vivre etde penser cette phase de transition non plus en victimes de leur sexe, de leur âge et de leurbiologie, mais en actrices fécondes, capables de se transformer et de s’inventer8.
Ainsi, par exemple, dans la médecine chinoise, des événements comme les bouffées de chaleursou les insomnies, l’augmentation du désir et de l’énergie sexuelle, sont des indicateurs d’unchangement évolutif activé par un nouvel équilibre, plus harmonieux9., Alors que dans lamédecine occidentale, ce sont les signes d’appel d’une maladie, la ménopause, que l’ondiagnostique biochimiquement par un dosage hormonal. Les femmes qui en sont « atteintes »sont invitées à se soumettre à un rite de passage mis en place par les pouvoirs publics, les sociétésd’imagerie médicale, et l’industrie pharmaceutique. Elles en sortent initiées et convaincuesqu’elles ne pourront éviter les complications de cette « maladie » dégénérative qui les rendrafragiles, laides et sèches, qu’en obéissant aux recommandations des experts et en consommantleurs produits. Ce faisant, elles pourront alors rester féminines (c’est-à-dire jeunes, belles etdésirables) et en bonne santé, pour toujours… 5 UNDERHILL E., Mysticism, Digireads.com Publishing, Stilwell, KS, 2005, 354 p. ; RIEDEL I., Die gewandelte Frau,Vom Geheimnis der zweiten Lebenshälfte, Freiburg im Breisgau, Herder, 2002, 192 p.
6 WILBER K., The Atman Project, A Transpersonal View of Human Development, Quest Books, 1996, 240 p.
7 DEVEREUX G., Ethnopsychiatrie des Indiens Mohave, Paris, Synthelabo, 1996, 920 p.
8 SHARAN F., Creative Menopause : Illuminating Women’s Health and Spirituality, Boulder Colorado, WisdomePress, 1994, 145 p.
9 BORYSENKO J.-A., Woman's Book of Life : The Biology, Psychology, and Spirituality of the Feminine Life Cycle,New York, Riverhead Trade edition, 1998, 320 p.
La médecine s’est toujours assurée, en collusion avec le pouvoir politique et religieux, lasurveillance et le contrôle des différents cycles de vie des femmes, des différents temps de lareproduction. La longue histoire du discours et de l’attitude des médecins face aux femmes quin’avaient plus de règles permet de comprendre la violence des concepts et des constructionsmédicales, sociales et culturelles dans lesquelles la ménopause se vit aujourd’hui et comment,confrontées aux pratiques médicales, chirurgicales et psychiatriques qui en découlent, les femmespeuvent se positionner sans naïveté, de façon responsable10.
Dans l’univers patriarcal et superstitieux du Moyen Âge, le dégoût, la haine et la peur desfemmes sans règles étaient étayés par un discours savant qui accueillait encore les théories deGalien (130-200 après J.-C.) sur les humeurs. Le sang menstruel, pensait-on à l’époque, étaitchargé de déchets et devait de ce fait être évacué. Les femmes qui le retenaient étaientvenimeuses et infectaient l’air. De plus, la rétention de ce mauvais sang risquait d’atteindre leurcerveau, de l’endommager et de susciter ainsi les perturbations qui les rendaient dangereuses11.
Ces conceptions relatives aux femmes atteintes d’aménorrhée (absence de flux menstruel), donchabitées par le mal et diaboliques, ont préparé la chasse aux sorcières durant laquelle un grandnombre de femmes ont été massacrées. Les femmes âgées, non mariées et pauvres étaient lespremières suspectes aux yeux du pouvoir politique et religieux.
Grâce à la psychiatrie naissante, au XIXème siècle, les vieilles sorcières deviennent des folleshystériques à traiter ou à enfermer12. À la même époque, la gynécologie obstétrique s’établit. Elleécarte les sages-femmes et investit le temps de l’accouchement, et désintègre le savoir et latradition des femmes sages qui s’occupaient du retour d’âge. Une collaboration harmonieuseentre le savoir séculaire des femmes et la nouvelle médecine technoscientifique et industrielleaurait pu se développer ; or, les sages-femmes et les femmes sages furent pourchassées et isoléesCoupées de leurs pratiques, dénigrées et inquiétées pour leur savoir, leur transmission s’estinterrompue. Ce sont les médecins qui ont pris le contrôle du corps et de la sexualité des femmes.
Avec l’évolution de la médecine, ce n’est plus la pléthore (rétention des menstrues) mais bien lesorganes, l’utérus puis les ovaires, qui sont tenus pour responsables de toutes les bizarreries etinsanités qu’on attribue aux femmes. C’est ainsi que l’hystérectomie et l’ovariectomie deviennentles interventions logiques pour traiter ou maltraiter les femmes, et pas seulement celles qui ont letemps et l’argent de consulter un médecin mais aussi celles, démunies, sur lesquelles lesnouvelles techniques opératoires sont testées.
Le retour d’âge et ses manifestations physiques, sexuelles, émotionnelles sont considérés alors,dans la littérature médicale écrite par des hommes (les femmes n’ont pas encore accès auxfacultés de médecine), comme une crise physiologique et sociale qui, une fois passée, laissera lafemme soit tranquille, soit malade, l’issue dépendant des prédispositions de chacune. Le 10 FORMANEK R., The meaning of menopause, London, Hillsdale Analytical Press, 1990, 321 p.
11 DELANOË D., Sexe, croyances et ménopause, Hachette, 2006, 261 p.
12 EHRENREICH B., Complaints and Disorders : The Sexual Politics of Sickness, New York, Feminist Press, 1977,92 p.
gynécologue rassure et donne des conseils d’hygiène de vie et de moralité, de patience etd’obéissance13.
En 1920, les œstrogènes sont synthétisés. Les promoteurs commerciaux les proposent poursoulager de nombreuses maladies mais c’est pour le retour d’âge qu’ils les vendront le mieux. Ilsutilisent, pour justifier leurs ventes, et sans l’avoir étayé par des essais cliniques, le nouveauparadigme développé par l’endocrinologie naissante qui s’applique au diabète et à l’insuffisancethyroïdienne. La ménopause devient ainsi, suivant ce schéma, une autre maladie hormonalecarentielle qui doit être traitée par des hormones de substitution.
De la pléthore à l’utérus, on a finalement identifié scientifiquement au XXème siècle le mal quiatteint les femmes sans règles : il s’agit d’une déficience hormonale en œstrogènes.
C’est ainsi que le mitan de vie de la femme, comme les autres cycles liés à la fécondité – lesrègles, la grossesse, l’accouchement, l’allaitement – a été reconfiguré par le discours biomédicalqui a procédé à sa « médicalisation ». Cette technique consiste à isoler une expérience humaine età la faire passer pour une maladie biologique complexe qui nécessite une évaluation, suivie d’untraitement et d’une surveillance que seul un expert, le médecin, avec son arsenal thérapeutique etbiotechnique, est capable de pratiquer.
La médicalisation prend une tournure différente en fonction de l’époque, du domaine, et du genresur lequel elle étend sa juridiction. On peut raconter celle de la « ménopause », on peut égalementtémoigner de celles, plus récentes, des « dysfonctionnements sexuels féminins » en général, oudu « désordre sexuel féminin de l’excitation », ou encore de l’« insuffisance de l’engorgement duvagin » et de « l’insuffisance érectile du clitoris »14.
Les femmes autour de la cinquantaine aujourd’hui sont les premières à avoir bénéficié dumouvement de libération des femmes des années septante et de ses victoires comme lacontraception, la dépénalisation de l’avortement et la libération sexuelle. Elles ont intégré à desdegrés divers ces bouleversements et sont actuellement confrontées au décalage entre leursattentes, préférences, désirs physiques et émotionnels, inédits et inouïs, et le discours culturelnormatif qui fait barrière à leur nouvelle compréhension de leur sexualité.
Comment la littérature savante construit-elle, aujourd’hui, la femme âgée de cinquante ans et sasexualité ? Qui en sont les experts ? Qu’étudie-t-on et comment ? Quels sont les préjugés etprésupposés culturels, médicaux et psychodynamiques qui orientent ou désorientent ces études ? 14 KERISIT M., PENNEC S., « La mise en science de la ménopause », Cahier du Genre, 31, pp. 129-147 ; LEYSEN B.,« The Medicalization of Menopause : from "feminine forever" to "healthy forever"», in NINA LYKKE & ROSIBRAIDOTT, Between Monsters, Goddesses and Cyborgs, New York, Zed books, 1996, pp. 173-192 ; MOYNIHAN R.,« The making of a disease: female sexual dysfunction », BMJ, 2003, 326, pp. 45-47 ; TIEFER L., « Female SexualDysfunction : A Case Study of Disease Mongering and Activist Resistance », PloS Medecine 3(4) : e 178, doi :10.1371/journal.pmed.0030178.
Comment se fait-il que les recherches s’engagent essentiellement à mettre en évidence lesproblèmes et les difficultés sexuelles qui apparaîtraient soudainement à cet âge et se préoccupentsi peu des expériences sexuelles nouvelles et jouissives qu’il permet ? Pourquoi tant d’emphasesur le déroulement du rapport sexuel isolé du paysage relationnel et contextuel dans lequel ils’accomplit, c’est-à-dire sur le cycle désir-excitation-orgasme-résolution, et si peu sur l’intimité,la joie, la sensualité ? Il n’y a peut-être aucune dignité spécifique à examiner le désir, les fantasmes, la jouissance et lespratiques sexuelles des femmes enthousiastes et comblées plutôt que de se pencher sur lesproblèmes de celles qui sont mécontentes, inquiètes ou inhibées. Les deux catégories existent, lesdeux approches sont légitimes et utiles. On peut néanmoins remarquer que c’est sur ce deuxièmegroupe que la majorité des études sont publiées. Elles recensent et commentent laphysiopathogénie des incompétences et des dysfonctionnements sexuels des femmes. Encorerares sont celles qui témoignent et se préoccupent de la sexualité, par exemple, des femmessurchargées de travail et de responsabilités, démunies et exténuées, qui n’ont ni le temps ni laforce de se rappeler que leur corps peut être le lieu d’un désir ou d’une jouissance. Il y a sansdoute, là, l’influence des discours androcentrés – sur le plan culturel, sociohistorique, biomédicalet psychanalytique – qui gardent le pouvoir de définition et d’attraction.
En effet, la sexualité des femmes vieillissantes est le plus souvent jugée à l’aulne de valeurs et decritères qui sont ceux des hommes jeunes, comme la suprématie du rapport sexuel génital, laperformance, la fréquence, la rapidité, ou encore les fantasmes. Cette recherche n’écoute pas ledésir et le plaisir des femmes, leurs rythmes, leurs paroles, leurs activités auto-érotiques, etévalue chez elles les comportements, les sensations, la réactivité par rapport à l’attente et lajouissance de l’homme, en faisant appel à la physique hydraulique plutôt qu’à l’horizonémotionnel, un peu comme si, pour évaluer la qualité d’un repas, on s’intéressait au mécanismede la digestion plutôt qu’à la gastronomie. À travers les questions qu’elle pose, cette scienceproduit elle-même le sujet qu’elle se propose d’étudier. Alors, les décisions souvent sages etcourageuses prises par les femmes à cette période de leur vie, les changements, les problèmes, lesdoutes qu’elles rencontrent, lesquels peuvent être transitoires et ponctuels, sont le plus souventconsidérés comme des écarts à la norme, donc des anomalies fonctionnelles, donc des maladiessomatiques ou psychiques15.
Une autre analyse, féministe, se développe et diffracte les discours dominants. Dans cetteperspective, l’attention est portée sur les réalités contextuelles, sociales, relationnelles etpersonnelles qui construisent et déterminent la sexualité : dans quelle situation relationnelle oufamiliale s’inscrit la vie amoureuse et l’activité sexuelle des femmes ? De quelle éducationsexuelle ont-elles bénéficié, et qu’ignorent-elles de leurs corps, de leurs désirs ? De quoi, de quiont-elles peur ? Quels sont les tabous sexuels qui les ont marquées ? De quelles libertés sexuellesjouissent-elles ? Qu’osent-elles dire, demander, refuser, qu’osent-elles initier ou faire ? Sousl’emprise de quel stress vivent-elles ? Qu’en est-il de la fatigue, des tâches domestiques et des 15 TIEFER L., « The medicalisation of sexuality: conceptual, normative, and professional issues », Annu. Rev. SexRes., 7, 1996, pp. 252-282 ; HART G., WELLING K., « Sexual behaviour and its medicalisation : in sickness and inhealth », BR. MED. J., 324, 2002, pp. 896-900.
obligations professionnelles, des difficultés financières ? Faut-il encore prendre soin des enfantsou des petits-enfants ainsi que des parents ? Ont-elles des ennuis de santé ? Qu’en est-il desfemmes qui ont été violées, abusées sexuellement (20 à 30 %, selon l’étude de Candib), combiensont couramment abusées émotionnellement ou battues par leurs partenaires16 ? Ces études mettent en évidence qu’un élément déterminant, dans les variations de désir et deplaisir sexuel des femmes au mitan de vie, est l’état de leur relation à leur partenaire, c’est-à-direce qui se joue avant, pendant et après la relation sexuelle : le degré d’intimité, le bien-êtreémotionnel, l’affection, la communication, le respect, l’attention17. Un autre élément importantsouvent éludé est la situation sexuelle du partenaire : bien que la baisse de l’activité sexuelle dansle couple soit attribuée à la déficience du désir sexuel ou de l’excitabilité de la femme et à lasécheresse de son vagin, à cet âge, c’est souvent le partenaire masculin qui présente desdifficultés sexuelles, notamment érectiles, et des réticences à modifier ses comportements sexuelshabituels. Bien des femmes embarrassées ou déçues préfèrent éviter cette confrontation18.
Ces études soulignent la variabilité de la vie sexuelle des femmes au mitan de vie, leurcréativité pour imaginer et opérer des changements, et la diversité des expériences qu’ellesvivent19. Elles se préoccupent également de l’image corporelle des femmes. Comme on peut s’yattendre, une image satisfaisante de son corps influence positivement, à tout âge, la vie sexuelle,le désir, l’activité et la jouissance. Mais en ce qui concerne son apparence, quelle image de soi lafemme au mitan de sa vie peut-elle élaborer dans une culture où elle devient invisible dans lesmédias autour de cinquante ans parce que le féminin est associé à la jeunesse et à la beauté etqu’elle ne répond plus aux canons qui rendent une femme désirable ? De même, au niveau de sescapacités fonctionnelles, quelle image de soi peut-elle construire si le seul sujet abordé sur laplace publique à propos des femmes de son âge est la ménopause qui signifie, dans le langagebiomédical courant, la fin de la fertilité et de la jeunesse, le déclin hormonal et par conséquentsexuel, l’ostéoporose et la fragilité, l’irritabilité et l’inconstance ? Malgré les messages de larévolution sexuelle qui ont forgé d’autres attentes et de nouveaux besoins en elles, malgré cequ’elles ont accompli dans leurs vies familiales et professionnelles, les femmes qui ont unereprésentation chancelante de leur corps s’engagent moins dans la vie sexuelle, ont moins dedésirs, et peuvent se retrouver extrêmement vulnérables, frustrées, et seules20.
L’art de guérir et la médecine issue de la médicalisation politique, capitaliste et médiatique, sontdes pratiques antagonistes et incompatibles. On observe néanmoins comment, progressivement,elles se chevauchent et se fondent. Ceci rend compte du souci grandissant dans la littératurescientifique féministe d’avertir les femmes, à l’aide d’une information critique indépendante del’industrie pharmaceutique et des pouvoirs publics, pour qu’elles ne se laissent ni abuser nimaltraiter.
16 CANDIB L., Medecine and the Family : A Feminist Perspective, New York, Basic Book, 1995, 250 p.
17 BIRNBAUM G., COHEN O., WERTHEIMER V., « Is it all about intimacy ? Age, menopausal status, and women’ssexuality », Personal Relationships, 14, 2007, pp. 167-185.
18 VARES T., POTTS A., « Reconceptualizing cultural narratives of mature women’s sexuality in the Viagra era »,Journal of Aging Studies, 21 (2), 2007, pp. 153-164.
19 The Boston Women’s Health Book Collective, Our bodies, ourselves: menopause, New York, Simon & Schuster,2006, 250 p.
20 KOCH B.-P., MANSFIELD P.-K., « "Feeling frumpy" : The relationship between body image and sexual responsechanges in midlife women », Journal of Sex Research, 42, 2005, pp. 215-222.
En effet, l’état de santé mentale des femmes peut être impliqué dans leurs difficultés ou leursréticences à s’engager dans une activité sexuelle, la fatigue, le stress, l’angoisse, la dépression et,surtout, les médicaments, souvent inutiles et dangereux, qu’on leur a prescrit indûment :antidépresseurs, tranquillisants, somnifères, antihypertenseurs etc. De même, des manifestationsde maladies physiques peuvent freiner ou inhiber l’activité sexuelle ; par exemple, des douleursarthrosiques ou des troubles sensori-moteurs d’affections neurologiques. Ces femmes ont grandbesoin d’être traitées dans une relation de visage à visage, avec respect et compétence, alors quetrop souvent elles n’ont pas accès à ces soins.
Ces études critiques sont souvent menées et diffusées par des réseaux de défense de la santé desfemmes. Elles sont utilisées dans des groupes de femmes qui travaillent avec les concepts de lasalutogénèse et des pratiques d’autosanté21.
La notion d’autosanté ou d’autosoins se réfère à la capacité de chaque femme de prendre en mainsa santé, en agissant sur elle-même et sur son environnement pour améliorer sa qualité de vie.
C’est aussi une démarche collective par laquelle les femmes découvrent et apprennent ensemblele fonctionnement de leur corps dans leur contexte de vie. Elles développent, par l’échange et lepartage, non seulement un savoir concernant leur corps, sa santé et son bien-être mais aussi uneconnaissance des enjeux socioculturels et politiques des pratiques de la santé.
La salutogenèse s’intéresse aux causes et aux conditions d’une bonne santé. Ce paradigmes’éloigne du concept médical classique de pathogenèse, orienté lui sur la maladie et son origine.
L’accent n’est plus mis sur les facteurs de risque mais sur les ressources dont dispose l’êtrehumain pour préserver et développer sa santé ; l’attention est portée sur l’amélioration de la santéplutôt que l’évitement ou la prévention des maladies. C’est dans cet esprit qu’il s’intéresse ets’interroge sur ce qui permet à certaines personnes de rester en bonne santé, voire même en vie,dans des conditions dramatiques.
Nous avons testé les qualités heuristiques de cette théorie pour la promotion de la santé enl’utilisant dans des groupes de femmes22. Ainsi, dans une perspective créatrice de santé, lorsque, àpropos des changements physiques qu’elles ont observés autour de la cinquantaine, nousproposons aux femmes de réfléchir aux joies et aux plaisirs qui les aideront à trouver un nouveléquilibre, leurs réponses confirment que chacune dispose de nombreuses ressources, d’outils etde compétences pour gérer avec créativité cette période de transition par elle même.
a) Ménopause et baisse du désir et de l’activité sexuelle La croyance la mieux diffusée et la plus prégnante est qu’à cet âge la diminution de la sécrétiond’œstrogène entraîne le déclin de la vie sexuelle. Il faut rappeler qu’il n’y a pas de relationunivoque entre la diminution du taux d’œstrogènes (qui, soit dit en passant, peut être considéréeet appréciée comme un phénomène évolutif, adaptatif, protecteur au lieu d’être décrite comme unprocessus dégénératif) et l’apparition de changements, de signes, de symptômes ; ces 21 ANTONOVSKY A., Salutogenese. Zur Entmystifizierung der Gesundheit, Tübingen, dgvt Verlag, 1997,220 p. ;disponible sur Internet : http://www.rcsf.ca/ 22 Cfr groupe de femmes chez nous, p. 11.
changements ne sont pas spécifiques à cet âge ; leur appréciation et leur interprétation varientselon les milieux sociaux et les cultures. On comprend alors combien l’équation biomédicale« déficit hormonal égale hypofonctionnement sexuel » homogénéise la diversité des expériencesdes femmes et réduit la complexité et la richesse des changements et des réorientations de cetemps de vie à une maladie endogène, sexuée et biologique.
Les études consacrées à la vie sexuelle des femmes au mitan de vie montrent avant tout ladiversité de même que la variabilité des situations. Certaines femmes notent une stabilité de leuractivité sexuelle ; d’autres une augmentation en termes d’intérêt, d’excitation, de plaisir et deréactivité ; d’autres une diminution ; d’autres encore une différence ; et certaines ne peuventrépondre à cette question23.
En ce qui concerne le déclin de l’intérêt des femmes pour la sexualité ou de leur activitésexuelle, de nombreuses études ne trouvent pas de relation avec la ménopause biologique maisplutôt avec l’accomplissement de sa prophétie funeste tellement diffusée et intégrée (déclinhormonal égale déclin sexuel), avec l’âge, la situation relationnelle et contextuelle des femmes,ou leur état de santé24.
Les femmes qui décrivent un regain ou une augmentation de leur activité sexuelle les viventsouvent avec un nouveau partenaire. Elles doivent résister aux interprétations dénigrantes quitaxent leurs élans et leur nouvelle vitalité d’immaturité, d’hypomanie ou de nymphomanie, enquelque sorte d’une anomalie gênante ou honteuse. Elles retrouvent des éléments de romance, depassion, de nouveauté et d’enchantement qui manquent à celles, nombreuses, qui se plaignent delassitude et d’ennui dans leurs couples, ou à celles qui ne veulent plus accepter certainscomportements qui se sont institutionnalisés, qu’elles n’osent pas ou ne parviennent plus àmodifier, et qui préfèrent, dès lors, s’abstenir de relations insatisfaisantes.
C’est avec ces femmes pleines de fougue que l’on voit combien la sexualité des femmes restecritiquée et réprimée. Il est encore inconvenant pour les femmes d’être actives et initiatrices sur leplan de la sexualité, et elles ne pourront probablement pas éviter d’être considérées par lesexperts comme trop excitées ou castratrices. Elles doivent être déterminées pour reconnaître leursdésirs, tenter de les satisfaire et d’en jouir. Il semble encore incongru ou malsain qu’elles aientune relation avec des hommes beaucoup plus jeunes qu’elles ou avec des femmes, qu’elless’amusent avec des jouets sexuels, ou qu’elles se masturbent tranquillement et sans honte25.
23 BIRNBAUM G.-E., COHEN O. & WERTHEIMER V., « Is it all about intimacy ? Age, menopausal status, and women'ssexuality », Personal Relationships, 14, 2007, pp. 167-185 ; VON SYDOW K., « Die Sexualität älterer Frauen »,Zeitschrift für ärztliche Fortbildung und Qualitätssicherung, 94, pp. 223-229.
24 BACHMANN G., LEIBLUM S., « Brief sexual inquiry in gynecologic practrice », Obstetricand Gynecology, 73, 1989,pp. 425-427 ; DENNERSTEIN L., DUDLEY E., ., « Are Changes in sexual functioning during midlife due to aging ormenopause », Fertility and Sterility, 76, 2001, pp. 456-460 ; CUTLER W., GARCIA C., « Perimenopausal sexuality »,Archives of Sexual Behavior, 16, 1987, pp 225-234.
25 MANSFIELD P., KOCH P., VODA A., « Qualities midlife women desire in their sexual relationships and theirchanging sexual response », Psychology of Women Quarterly, 22, 1998, pp. 285-303 ; RADISH K., The Sunday List ofDreams, New York, Bantam Dell, 2007, 378 p.
L’un des effets de la diminution de sécrétion d’œstrogènes est la modification du tissu muqueuxdu vagin qui devient plus fin, plus sec, et moins flexible. S’il est bien vrai qu’avec une sécheressedu vagin la pénétration lors des rapports sexuels peut être très douloureuse et provoquer desmicrotraumatismes et des saignements, la sécheresse du vagin, à tout âge, signifie d’abord qu’unefemme n’est pas prête à accueillir une pénétration. Il revient dès lors au couple, ou à elle-même sielle n’a pas de partenaire, de s’adapter, prendre le temps, imaginer ce qui sied, et aussi toutsimplement utiliser les lubrifiants appropriés et sans effets délétères. Ceci étant dit, il fautrappeler que la grande majorité des femmes ne se plaignent ni de sécheresse ni de dyspareunie26.
Ici, à nouveau, la prophétie du déclin hormonal-sécheresse-atrophie-douleur-déclin sexuel esttellement diffusée et acceptée que souvent les femmes, comme condamnées, ne réagissent plus.
D’autres s’en servent lorsqu’elles ne veulent plus s’accommoder de relations sexuellesinsatisfaisantes ou déplaisantes et qu’elles n’osent pas proposer des changements ou exprimerleur déplaisir dû, par exemple, à l’ennui qu’elles éprouvent avec leurs partenaires ou à leurmanque d’hygiène corporelle27.
Beaucoup de femmes vivent les années autour de la ménopause comme un nouveau départ.
Souvent elles sont en bonne santé et se sentent plus libres qu’auparavant. Les pratiques sexuelles,comme le désir, changent tout au long de la vie, se renouvellent, se transforment. Souvent, avecle temps, la tendresse se fond dans la sexualité et elles se stimulent mutuellement ; la tranquillité,la confiance se manifestent pleinement. Pour les hommes également, au travers des étapes de lavie et des défis de l’existence, la sexualité évolue, change de tonalité, de couleur, et la douceurremplace peut-être la performance. C’est dans l’amour et le respect, par le dialogue, que cesréaménagements peuvent se déployer harmonieusement et que les partenaires peuvent empêcherleurs relations sensuelles et sexuelles de se figer ou de se détériorer. Les changementsbiologiques ou le vieillissement n’entravent bien entendu ni l’épanouissement sexuel ni lacapacité d’aimer et de créer ! Des traditions existent encore qui encouragent les femmes à construire, à chaque nouvel âge, leuridentité sexuelle. En 1977, l’anthropologue Donna Lee Davis a étudié, dans un village depêcheurs situé en Nouvelle Ecosse, les réactions des femmes à l’arrêt de leurs règles, etparticulièrement celles qui concernaient leur vie sexuelle28. Dans ce village, les femmes d’unmême âge se réunissent régulièrement pendant les périodes de grands changements (premièresrègles, grossesse, naissance, allaitement, ménopause) pour échanger leurs expériences. Lesmanifestations liées à ces changements, que l’on pourrait appeler les « symptômes », s’inscriventtoujours dans l’ensemble de l’histoire unique de ces femmes ; ils revêtent donc à chaque fois uneautre signification. Ils ne sont jamais isolés de leurs récits de vie. Ils sont souvent vécus etinterprétés comme une expression physique qui canalisera et permettra la transition vers un 26 CUTLER W.-B., GARCIA C.-R., MCCOY N., « Perimenopausal sexuality », Archives of Sexual Behavior, 16, 1987,pp. 225-234.
27 LEIBLUM S., « Sexuality and the midlife women », Psychology of Women Quarterly, 14, 1990, pp. 495-508.
28 DAVIS D., « The meaning of menopause in a Newfoundland Fishing Village in Culture », Medicine andpsychiatry, X, 1, 1986, Springer Netherlands, pp. 73-94.
nouveau cycle de vie. Ces signes, les vécus émotionnels qui leur sont associés et lesréaménagements qu’ils entraînent, composent les éléments de l’histoire de chacune durant cettepériode de transition. Lors de ces rencontres, les narrations, les échanges et le partage renforcentles capacités des participantes à gérer et à s’adapter aux changements qu’elles vivent pourrenaître à un nouveau cycle de vie.
Dans la tradition du « Mouvement pour la Santé des Femmes » américain et des « Mouvementspour l’Autosanté » québécois et suisses, interpellées par les femmes Inuit, inspirées par leFeministisches Frauen-Gesundheits-Zentrum de Berlin, le Frauenseminar Bodensee et le« Centre de Prévention et Santé » à Genève où Rina Nissim29, activiste et pionnière de l’approcheféministe de la santé des femmes a longtemps œuvré, nous organisons depuis 2004 des groupesde femmes autour de la cinquantaine. Les rencontres se construisent autour de différents thèmes :les cycles de vie, les changements physiques et leur physiologie, la biographie, la sexualité,l’identité et le statut des femmes dans la société, etc. À ce jour, plus de 300 femmes, dedifférentes régions de Belgique et de différentes communautés socio-économiques et culturelles(cette activité est subsidiée) ont participé à ces travaux de groupe. Les citations reprises dans lasuite du texte sont des paroles qui ont été recueillies à la main par l’une des animatrices au coursde ces rencontres et que nous publions avec la permission de leurs auteures.
Les paroles énoncées par les femmes dans ces groupes se distinguent des témoignagesindividuels que l’on trouve habituellement dans les enquêtes scientifiques ou journalistiques, oùune femme isolée répond aux questions qu’on lui pose ou parle devant l’enquêteur. Dans lesgroupes, la parole d’une femme est mise en dialogue avec celles d’autres femmes du même âge.
Les narrations sont interactives et réflexives. Leurs récits produisent un discours autre etalternatif, qui ne devient pas une anamnèse, et par lequel les femmes peuvent s’exprimer, seressourcer et trouver une inspiration. Les échanges, les dialogues et les récits tissent des liens desolidarité et d’entraide. Dans cette situation de confiance, ils sont une source inépuisable devalorisation mutuelle, de soutien, et d’audace créatrice. Témoigner entre femmes a également unefonction de catharsis, rendue possible grâce à l’intensité émotionnelle des mots, leur authenticité,et grâce à la certitude de n’être ni jugée ni analysée.
À cinquante ans, les femmes disposent déjà d’une longue expérience de la sexualité. Dans lesgroupes, elles sont invitées à reconstruire leurs biographies sexuelles et préciser ainsi leurs désirset leurs plaisirs afin d’envisager leur vie sexuelle future. Elles se souviennent d’expériencesintéressantes, excitantes, passionnelles, courageuses, aimantes, parfois violentes et douloureuses.
Se rappeler et regarder ce que l’on a expérimenté, ce que l’on a aimé et ce que l’on ne veut plusvivre, permet aux femmes de prendre conscience et de verbaliser leurs besoins actuels : Ce que je désire aujourd’hui se construit aussi à partir de mes expériences sexuelles passées. Ce que j’aivécu fait partie de mon identité d’aujourd’hui.
29 DAVIS D., « The meaning of menopause in a Newfoundland Fishing Village in Culture », Medicine andpsychiatry, X, 1, 1986, Springer Netherlands, pp. 73-94 ; disponible sur Internet : www.cwhn.ca ; www.rcsf.ca ;www.ffgz.de ; www.frauenseminar-bodensee.ch ; NISSIM R, La Ménopause, réflexions et alternatives aux hormonesde remplacement, Genève, Éditions Mamamélis, 2001, 164 p. ; disponible sur Internet : www.femmesetsante.be.
Cette mémoire réveillée ouvre parfois de nouvelles perspectives, on ressent à nouveau des désirsqui avaient été mis entre parenthèses. Comme cette femme qui se rappelle comment un amantl’avait caressée avec délicatesse derrière l’oreille et dans la nuque, et décide de demander à sonmari de la caresser de la sorte plutôt que de lui toucher les seins, une pratique qui ne lui procureplus autant de plaisir.
Les plaisirs sexuels et la jouissance dépendent, à tout âge, d’innombrables facteurs : lesconditions de vie matérielles et sociales, l’état physique, le psychisme, la fatigue ou l’épuisement,le succès et les déceptions, les soucis et les joies, le paysage, le climat et les battements d’ailesd’un papillon… Ils possèdent de multiples visages : se fondre dans l’autre, entrer en soi, être un,ou parfois cette pulsion, très physique et sensuelle, vers et dans l’accomplissement des rêves etdes idéaux : Quand je vois que mon mari fait quelque chose d’attentionné dans la vie quotidienne pour moi, commesortir les poubelles le soir, penser à l’anniversaire de ma mère, s’intéresser à mon travail, j’ai plus envie defaire l’amour avec lui.
Lorsqu’elles se racontent, certaines femmes se décrivent plus audacieuses et plus libres dans leurvie amoureuse ; elles disent avoir plus de plaisir et, surtout, ne plus accepter des relationsinsatisfaisantes, vouloir changer les habitudes de leur couple, désirer une relation plus sensuelle,plus respectueuse de leur plaisir, et plus à l’écoute de leur corps. Trois thèmes émergent souventdans leurs récits et se chevauchent : La cinquantaine, c’est l’âge où il faut intégrer et accueillir les changements dans l’apparencephysique, accepter et aimer son corps tel qu’il est, ne pas s’accrocher à une image nostalgique.
Cette acceptation est un deuil constructif, une maturation vers l’épanouissement de soi, peut-êtrela voie vers une sexualité plus satisfaisante. Ce processus est difficile pour certaines femmes.
Elles peuvent perdre leur confiance, leur estime de soi, se sentir dévalorisées, s’isoler, déprimer.
Il est souvent difficile, pour les femmes qui cherchent un nouveau partenaire, d’oser plaire ouséduire alors qu’elles ne répondent plus aux canons culturels de la femme belle et attirante : J’ai 58 ans et je cherche un homme pour l’aimer. Aimer aussi physiquement. Mon corps attend sescaresses. Mais j’ai aussi des craintes : aimera-t-il caresser un corps changé par les années ? Et comment,moi, j’accueillerai ses mains sur mon corps de femme de 58 ans ? Parfois, les femmes expriment leur peur de la ménopause. En effet, le discours médical et sociétalfait peur aux femmes de cinquante ans. Il suggère que, chez la femme, vieillir entraîne la baissedu désir sexuel et, plus grave encore, qu’une femme qui avance en âge est moins désirable si ellen’améliore pas son apparence à l’aide de la médecine, de la chirurgie anti-âge, et des traitementscosmétiques : J’ai pensé que mon homme n’avait plus envie de moi ; il ne s’approchait plus ; je me suis sentie de moinsen moins attirante. Mais il y avait un malentendu. Mon mari avait peur de ne plus pouvoir me satisfaire, dene plus être à la hauteur, sa puissance sexuelle avait changé. Cette pudeur, qui a empêché qu’on se parle, afait des dégâts chez lui et chez moi.
Une autre femme constate des douleurs pendant et après les rapports sexuels. Elle consulte sagynécologue qui ne trouve pas d’irritation particulière. Elle raconte aux autres femmes combienla communication dans son couple est pauvre. Faire l’amour s’inscrit pour elle dans un échange,un partage profond, une communication verbale et non verbale. Son mari, quant à lui, vit unepériode difficile : il est inquiet sur le plan professionnel, il sent que ses forces physiquesdiminuent. L’acte sexuel, pour lui, est une compensation pour toutes les frustrations qu’il vitactuellement. Il n’est pas tourné vers elle, il cherche sa satisfaction, la seule peut-être dans unevie remplie de difficultés et de déceptions. Il est vrai que, pour certaines femmes, la muqueusevaginale devient plus sensible, parfois plus fragile, après la cinquantaine. Ces femmes peuventdésirer, comme d’autres, plus de délicatesse dans leurs pratiques sexuelles. Parmi elles, certainespensent que, grâce à cette sensibilité nouvelle, leur excitation pendant les rapports sexuels estplus grande que par le passé.
Dans les couples, le vécu de la sexualité s’inscrit avant tout dans une ligne de vie avec une longuehistoire d’expériences amoureuses et sexuelles, et avec une évolution de la relation entre lespartenaires. Ainsi, faire l’amour peut devenir l’expression d’une profonde reconnaissance del’autre, d’une complicité, d’une confiance illimitée ; l’expression d’une intimité qui s’estconstruite au cours de longues années de vie commune. Un homme autour de la cinquantainedéclarait à son épouse : « Dormir dans tes bras, c’est comme faire l’amour toute la nuitensemble ». Certains couples ritualisent leurs rencontres en s’adaptant aux disponibilités dechacun (la sieste du samedi après-midi, le réveil ensemble le dimanche matin…). Le lit peutdevenir un nouveau champ d’expérimentations.
Beaucoup de femmes racontent que si leur désir n’a pas changé, néanmoins la fréquence de leursrapports sexuels a diminué. Ce rythme peut s’être modifié parce que leurs partenaires connaissenteux aussi des changements profonds, physiques et psychiques : A l’intérieur je me sens jeune comme avant, vraiment rien n’a changé, mais mon mari fait l’amour avecune autre énergie, c’est différent, plus doux et plus lent, c’est à travers lui que je sais qu’on avance en âge.
Il existe des couples pour lesquels la sexualité ne constitue plus l’essentiel de leur relation intime,d’autres composantes ayant pris cette place centrale : la complicité, une passion commune, unnouveau projet de vie. Les pratiques sexuelles dans les couples de femmes lesbiennes serenouvellent elles aussi au cours de cette période de transition : Je suis entrée plus tôt que ma partenaire en ménopause, mais après c’est elle qui a eu des bouffées dechaleur plus importantes. On s’est marrées ensemble, je me suis collée contre elle pour me réchauffer enhiver. En ce qui concerne le changement au niveau vaginal, que nous avons entendu surtout des femmeshétérosexuelles, nous avons pris un énorme plaisir à enrichir nos pratiques sexuelles en utilisantdifférentes huiles avec lesquelles nous nous massions mutuellement au niveau du vagin et du périnée.
Dans nos groupes, des femmes témoignent de leur plaisir d’avoir des rapports non protégés et dene plus craindre une grossesse non désirée. Elles se comportent avec plus de spontanéité et sedisent plus satisfaites. Une femme raconte : J’avais en tête l’idée que la sexualité à partir de cinquante ans c’était le déclin… C’est d’ailleurs ce qu’onentend dans les médias, et c’est aussi ce que m’a dit mon gynécologue. Et puis j’ai parlé avec d’autres femmes, les règles se sont estompées, et je ne me suis plus protégée. Et là, une nuit avec mon homme, lemiracle s’est produit : j’ai eu cet orgasme vaginal si longtemps attendu.
C’est ce que l’on retrouve dans l’étude d’Antonovsky, Datan et Maoz30 qui compare le vécu defemmes autour de la ménopause dans différentes communautés et groupes socio-économiques enIsraël. Cette étude montre que ce qui lie les femmes les plus traditionnelles aux plus modernes estleur commune absence de regret en ce qui concerne l’arrêt de leurs règles et de leur féconditéphysique, de même que leur commune curiosité par rapport à une sexualité sans risque degrossesse.
Des femmes expriment le désir de découvrir l’amour physique avec une autre femme ou deconnaître un autre homme que le partenaire habituel : J’ai rencontré une femme et je suis tombée amoureuse d’elle. Elle m’a fait découvrir mon corps, et je mesuis rendue compte que la sexualité jouait un rôle important dans ma vie.
À mon âge je voudrais encore savoir plus sur l’amour sexuel, je voudrais expérimenter. J’ai remarqué qued’autres hommes m’attirent. Je voudrais découvrir mon point G.
Il y a également la redécouverte du plaisir de la masturbation. Le plaisir de jouer avec son corps.
Et aussi de sentir que la masturbation est une pratique très simple pour se procurer du bien-être,un équilibre, de la joie.
Pour les femmes célibataires, le problème est de trouver un(e) partenaire pour faire l’amour : Je n’ai pas de partenaire, j’ai souvent simplement envie de faire l’amour, c’est très, très physique. Il estdifficile à mon âge de trouver quelqu’un seulement pour faire l’amour, je ne sais pas comment m’yprendre.
Plusieurs participantes célibataires expriment leur envie de rencontrer des hommes ou desfemmes seulement pour faire l’amour et pas forcément en vue d’une relation durable. Maiscomment trouver un partenaire sans passer par les sites web ou les annonces, démarches quirestent potentiellement périlleuses puisqu’elles exposent les femmes à la violence ou à laperversion d’un partenaire inconnu et à l’arnaque financière de certains clubs de rencontre. Uneparticipante raconte son expérience dans un club-sauna, dirigé par une femme, où les femmespeuvent trouver le plaisir, la détente et faire des découvertes sexuelles en toute sécurité, chaquevisiteur/visiteuse ayant souscrit aux règles de l’établissement. Elle décrit le lieu comme unendroit précieux pour explorer sa nouvelle sexualité de femme mûre et pour rencontrer deshommes et des femmes de tous âges31.
30 DATAN N., ANTONOVSKY A., MAOZ B., A time to reap, Baltimore and London, The John Hopkins UniversityPress, 1981, 194 p.
31 Nous ne donnons pas le site Web de ce club suisse ; il ne nous semble pas approprié de faire ici la publicité pourun établissement privé, mais nous pensons qu’il est intéressant de signaler l’existence de ces lieux et le témoignaged’une participante.
Le désir prend d’autres dimensions et s’exprime différemment. Parfois, les femmes racontent desexpériences qu’elles appellent mystiques, contemplatives ou orgasmiques. Souvent, le lien est faitavec une nouvelle approche de la spiritualité : Récemment, j’ai eu une expérience tellement forte avec un homme que j’ai découvert que la sexualité aune force sacrée. Maintenant, c’est ça que je veux avoir dans ma vie.
D’autres femmes se tournent vers d’autres sources de satisfaction et de réalisation de soi : Mes priorités ont changé, je m’épanouis beaucoup dans ma nouvelle activité (une association qui œuvrepour le tiers monde). Je suis beaucoup avec d’autres femmes, c’est extrêmement important pour moi, j’ytrouve tellement de plaisir. Faire l’amour est devenu moins important pour moi.
Les femmes autour de la cinquantaine vivent une métamorphose. Elles ont acquis un sens préciset concret de la finitude. Le temps s’accélère, les générations se succèdent, les années seconfondent. C’est peut-être la dernière occasion de tout bouleverser et de recommencer. Elles nepeuvent plus se contenter de répondre aux attentes et aux exigences. Les voies s’ouvrent, leschemins se tracent, elles doivent être déterminées, fortes et sages. Elles doivent impérieusementaffirmer et vivre leurs désirs et écouter leur corps et ses besoins. Elles sortent des conformismes,elles osent être indignes. Pour avancer, elles cherchent la tension juste entre une houle qui envahitleur corps et l’humilité qu’elles ont acquise et par laquelle elles savent qu’il n’y a rien à faire,parce que la vie se vit à travers elles.
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